Le Web 3.0 : de la décentralisation à l’émancipation ?

« Agriculture destroyed the chief, forcing a transition to oligarchy. Industrialization destroyed the king, forcing a transition to democracy. The information revolution, coupled with globalization, is eroding representative government and forcing a transition toward something completely new. »

Michael Mason et Matthew Spoke, « Programmable Trust »

Après le web encyclopédique de la première génération et le web social ou participatif, le Web 3.0 annonce une nouvelle ère de l’Internet, celle de la « grande décentralisation » avec un modèle de gouvernance fiduciaire intégré dans la technologie. L’expression émerge en réaction à la « grande domination » des Big Tech sur les plans tant des infrastructures numériques que de l’accès au contenu, depuis la constitution des gigantesques bases de données sur et générées par les utilisateurs tiers jusqu’à la consolidation d’une nouvelle économie fondée sur la donnée. L’avènement du Web 3.0 promet un cyberespace ouvert, distributif, libre d’accès, fiable et vérifiable même en l’absence d’intermédiaires de confiance : un cyberespace ubiquitaire où le « consommateur » du web 2.0 devient enfin « citoyen » du monde. À l’économie des données se succède une économie de partage ou collaborative redonnant une liberté d’agir, de travailler et de vivre à tous et chacun. L’utilisation des registres distribués pour enregistrer et valider les transactions à base de crypto-monnaies et exécutés par des contrats intelligents ébranle le rôle central jusqu’alors dévolu aux institutions financières et au gouvernement comme intermédiaires de confiance. De la finance (deFi) à l’entreprise (DAO) en passant par la gestion des données d’utilisateurs, l’ambition de la décentralisation est sur toutes les lèvres.

Et pourtant, le web 3.0 annonce-t-il vraiment la démocratisation de l’Internet? Le Livre Blanc de Bitcoin, sorti au milieu de la crise bancaire et financière de 2008, a voulu présenter un système de paiement électronique pair-à-pair qui s’inscrit comme une alternative – et critique – au système financier existant. Or, le coût énergétique élevé pour la validation des transactions sur les chaînes de blocs ne pourrait être assumé que par une minorité de mineurs et partant, favorise la concentration du pouvoir décisionnel aux mains de quelques « privilégiés ». Plus fondamentalement, si la perspective d’un crypto-capitalisme inquiète plus d’un, c’est moins en raison de ses nouveautés que du caractère éphémère de ce vent d’émancipation qui ne tardera à être instrumentalisé par les États, les intermédiaires de confiance traditionnels voire les Big Tech du web 2.0. Outre des défis de conformité à court terme, des réformes réglementaires à long terme sont en voie de se cristalliser pour absorber, définitivement et durablement, le web 3.0 dans le cadre réglementaire existant: pensons notamment à la (nouvelle) fiscalité des monnaies numériques, aux mesures de contrôle contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, la reconnaissance juridique des DAO comme une forme légale d’entreprise. À mesure que gouvernements, banques centrales et réseaux sociaux créent leurs propres monnaies numériques et entretiennent leurs propres registres distribués pour optimiser les services aux citoyens, que reste-il des idéaux de décentralisation du web 3.0? 

Conférencier principal

Pr Jeremy Clark

Jeremy Clark est professeur agrégé au Concordia Institute for Information Systems Engineering À Concordia, il est titulaire de la NSERC/Raymond Chabot Grant Thornton/Catallaxy Industrial Research Chair in Blockchain. Pr Clark a obtenu son doctorat de l’Université de Waterloo, où sa thèse médaillée d’or portait sur la conception et le déploiement de systèmes de vote sécurisés, y compris Scantegrity, le premier système cryptographiquement vérifiable utilisé lors d’une élection du secteur public. Il a rédigé l’un des premiers articles universitaires sur le Bitcoin, mené plusieurs projets de recherche dans ce domaine et contribué au premier manuel de référence. Au-delà de la recherche, il a collaboré avec plusieurs municipalités sur la technologie de vote et témoigné devant les comités des finances du Sénat et de la Chambre des communes du Canada sur le Bitcoin.

Table ronde n°1 – Les promesses et applications du web 3.0 Émancipation du citoyen et désintermédiation de la société

Conférencier.e.s

Pr Kaiwen Zhang (animateur) 

Kaiwen Zhang est professeur associé au département de génie logiciel et des technologies de l’Information à l’ÉTS (l’École de technologie supérieure) de Montréal. Auparavant, il a été boursier postdoctoral Alexander von Humboldt en Informatique à l’Université Technique de Munich (2015-2017). Pr Zhang est membre du Groupe de Recherche en Systèmes Middleware. Le Pr Zhang a obtenu son B.Sc. et son M.Sc. à l’Université McGill à Montréal ainsi que son Ph.D. à l’Université de Toronto. Ses domaines de recherche incluent les technologies de blockchain, les systèmes de publication/abonnement, les jeux massivement multijoueurs en ligne et les réseaux à définition logicielle. L’expertise du Pr Zhang se situe à l’intersection des systèmes distribués, des réseaux et de la gestion des données. Ses recherches ont été publiées dans des conférences de premier plan en systèmes distribués telles que IEEE ICDCS et ACM Middleware.

Pre Victoria L. Lemieux

Victoria L. Lemieux est professeure en science archivistique à l’University of British Columbia School of Information. Elle est également fondatrice de Blockchain@UBC, le pôle de recherche et d’éducation sur la blockchain de l’University of British Columbia, une chercheuse distinguée de la Sauder School of Business et membre associée de l’Institute for Computing, Information and Cognitive Systems à l’UBC. Ses intérêts portent sur les risques liés à la disponibilité de documents fiables à travers une perspective théorique archivistique, en particulier dans les systèmes de conservation des registres de blockchain, et sur la manière dont ces risques impactent la transparence, la stabilité financière, la reddition de comptes publique et les droits de l’homme. Entre 2014 et 2016, Pre Lemieux a travaillé avec la Banque mondiale sur la transparence et la gestion de l’information pour soutenir le développement économique et social, et a dirigé divers projets d’analyse de données massives. Pre Lemieux a également été chef de la sécurité des informations en tant que consultante pour la société de soins de santé personnalisés axée sur l’intelligence artificielle, Molecular You, et est actuellement conseillère pour l’entreprise de santé numérique, Lifeguard Digital Health. Pre Lemieux a remporté plusieurs prix pour ses recherches et ses contributions dans le domaine des archives, de la gestion des documents et de la cybersécurité, notamment le prix Emmett Leahy en 2015 pour ses contributions dans le domaine de la gestion des documents, le prix World Bank Big Data Innovation Award en 2015, et le prix du leadership de l’écosystème de la blockchain en 2020. Elle a également été reconnue comme l’une des 20 femmes les plus influentes en cybersécurité au Canada en 2020 par IT World. Ses publications récentes comprennent « Building Decentralized Trust: Multidisciplinary Perspectives on the Design of Blockchains and Distributed Ledgers » (Springer, 2021) et « Searching for Trust: Blockchain in an Age of Disinformation » (Cambridge University Press, 2022).

Pr Mohammad Hamdaqa

Mohammad Hamdaqa est professeur adjoint au Département de génie informatique et de génie logiciel de Polytechnique Montréal, où il dirige le laboratoire de technologies logicielles et émergentes. Il est également professeur adjoint au Département d’informatique et co-fondateur du Centre de technologie financière de l’Université de Reykjavik (Islande). Hamdaqa a obtenu un doctorat en génie logiciel de l’University of Waterloo au Canada en 2016. Il détient un baccalauréat en génie informatique, une maîtrise en sciences appliquées (génie logiciel) et une maîtrise en administration des affaires (MBA) avec une spécialisation en systèmes d’information de gestion (MIS). Les travaux de Hamdaqa se concentrent sur l’interaction entre les technologies émergentes et les applications logicielles, en particulier sur la manière dont les approches, méthodes et pratiques de génie logiciel peuvent être adaptées pour maîtriser les complexités de la construction et du déploiement d’applications pour les nouvelles plateformes émergentes. Il s’intéresse à la façon dont les modèles et l’ingénierie orientée modèle peuvent renforcer le développement de systèmes intelligents, ainsi qu’à la manière dont l’apprentissage automatique et l’intelligence artificielle générative fonctionnent en tandem avec les modèles pour révolutionner la conceptualisation de systèmes logiciels fiables, permettant en fin de compte le développement logiciel via des plateformes conviviales à faible code accessibles aux développeurs citoyens. Hamdaqa a apporté des contributions et publié des articles dans les domaines de l’ingénierie logicielle orientée modèle, de l’informatique en nuage et de la blockchain. Il est membre de l’IEEE Computer Society (CS), de l’Association for Computing Machinery (ACM) et de la Fondation islandaise de la blockchain.

Jean-Luc Pellerin

Jean-Luc Pellerin est le co-fondateur et président de Web3Montreal, ainsi que le co-fondateur et directeur des opérations de Dunes Agency. Il est diplomé en génie civil de l’École de Technologie Supérieure. Son expérience professionnelle est vaste et comprend la recherche et le développement, le conseil d’administration, la gestion de projet, la gestion de produits, l’analyse commerciale, le développement des affaires, le développement économique sectoriel et régional, le financement et la collecte de fonds, le renforcement d’équipe, les relations internationales, l’intelligence économique, l’organisation communautaire, la planification d’événements, le conseil stratégique pour les entreprises publiques et privées ainsi que les organisations à but non lucratif, la prise de parole en publicet de nombreuses autres compétences.

Table ronde n°2 – Des défis et réglementations du web 3.0 

Conférencières

Pre Maya Cachecho (animatrice)

Pre Maya Cachecho est titulaire d’un doctorat en droit de l’Université de Montréal.   Ses travaux de recherche portent sur le droit des sociétés, le fonctionnement du marché financier et la mise en garantie des titres intermédiés (en droit québécois, national et international). Elle dirige actuellement deux projets de recherche portant sur les enjeux juridiques reliés aux pratiques d’intermédiation financière et sur les enjeux juridiques et éthiques entourant le recours aux technologies financières (Fintech). 

Maya Cachecho enseigne aux trois cycles de la formation universitaire, entre autres le séminaire général de doctorat, le droit des affaires, le droit des sûretés, le droit international privé et les fondements du droit privé. Elle a contribué à la création de l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ) dont elle a été la première à assurer la direction générale, en plus de coordonner, pendant plusieurs années, le grand partenariat de recherche Accès au droit et à la justice (ADAJ).

Pre Charlaine Bouchard

Charlaine Bouchard est titulaire de la Chaire de recherche sur les contrats intelligents et la chaîne de blocs – Chambre des notaires du Québec. Elle est notaire et professeure titulaire en droit de l’entreprise à la Faculté de droit de l’Université Laval depuis 1998. Elle est détentrice d’un doctorat en droit de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne et d’un postdoctorat de la Faculté de droit de l’Université Laval. Elle est l’auteure de plus d’une centaine de publication dans des ouvrages et publications scientifiques.

Depuis quelques années, elle consacre ses recherches aux technologies émergentes et particulièrement à la transformation digitale de la profession notariale. Elle est pionnière sur la réflexion entourant la chaîne de blocs au Québec. Son objectif est de faire connaître cette technologie émergente et de favoriser son acceptation sociale.

Didem Demirag

Mme Demirag est chercheuse postdoctorale à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) sous la direction du Professeur Sébastien Gambs. Elle travaille actuellement sur la relation entre l’équité et la vie privée dans l’apprentissage fédéré. Cette dernière a obtenu son doctorat à l’Institut d’ingénierie des systèmes d’information (CIISE) de l’Université Concordia, sous la direction du Professeur Jeremy Clark. Mme Demirag s’’intéresse à la cryptographie et aux technologies de chaîne de blocs. Certains des projets sur lesquels elle a travaillé concernent les monnaies numériques de banque centrale, les cryptomonnaies stables et la réalisation de calculs multipartites sécurisés sur la chaîne de blocs Ethereum. Celle-ci a aussi effectué un stage d’un an à l’Autorité des marchés financiers pendant son doctorat. 

Jessie Hall

Jessie Hall est une candidate au doctorat à l’Institute for History and Philosophy of Science and Technology (IHPST) et est affiliée au Schwartz Reisman Institute for Technology and Society (SRI) à l’University of Toronto. Ses intérêts de recherche se concentrent sur la philosophie de l’informatique et de la calculabilité ainsi que sur la philosophie de l’intelligence artificielle.

Ce contenu a été mis à jour le 27 novembre 2024 à 11 h 12 min.