Les facettes technologiques du NCPC : La signification et la notification technologique (5/7)

Par Antoine Guilmain (Ph.D. Candidate in Law (LL.D.) Université de Montréal and Université Paris 1)

« Audi alteram partem »… Encore une veritas qui est utilisée ad nauseam pour justifier la moindre ratio legis, me direz-vous ! Et bien, pas cette fois. Cet adage entretient un lien de filiation flagrant avec l’obligation de signifier les actes de procédure (art. 78 C.p.c.). Et, vous vous en doutez bien, la signification judiciaire a pris une nouvelle dimension avec l’avènement des technologies de l’information. En ce sens, ce cinquième billet de blogue « Les facettes technologiques du NCPC » se veut décrire le régime de la transmission technologique des actes de procédure sous le nouveau Code de procédure civile (ci-après « NCPC »). Avertissement : la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (ci-après « LCCJTI ») se place nécessairement en trame de fond. Retroussons-nous les manches et passons aux choses sérieuses.

La LCCJTI énonce, à ses articles 28 à 37, plusieurs règles afférentes à la transmission de documents. La notion de « document » est volontairement large et couvre notamment les « actes » – les actes de procédure sont donc a fortiori visés, c’est-à-dire l’ensemble des formalités à suivre pour obtenir une décision d’un tribunal.

Ceci amène cela. Le NCPC s’intéresse précisément à la transmission des actes de procédures et vient de fait se superposer à la LCCJTI. Il encadre en effet la « notification » et la « signification » des actes de procédure, visant à porter un document à la connaissance d’une personne (art. 109 NCPC). Comme le suggère l’article 110 al. 2 NCPC, ces notions s’opposent à deux égards. D’une part, la notification est un acte général ouvert à tous, alors que la signification est un acte réservé aux huissiers de justice. D’autre part, la notification est le principe tandis que la signification serait plutôt l’exception : « lorsque la loi le requiert ».

Mais surtout, la signification technologique se distingue sensiblement de la notification technologique. Nous étudierons donc successivement ces deux cas de figure.

  1. La signification technologique

La transmission de certains actes spécifiques doit se faire par voie de signification (art. 139 NCPC), c’est-à-dire par l’huissier de justice. Par souci de simplicité, nous nous concentrerons uniquement sur le cas de la demande introductive d’instance – cependant, les développements ultérieurs sont valables pour toutes les situations de signification. Sans perdre de temps, formulons l’hypothèse : la signification de main à main demeure le principe et la signification technologique est plutôt l’exception.

  • Le principe : la signification de main à main

Sous le régime du C.p.c., la manière usuelle de signification d’une demande introductive d’instance était de main à main (art. 123 C.p.c.). Il n’était possible que de manière spéciale de signifier un tel acte par un moyen technologique (art. 138 C.p.c.). À cet égard, mentionnons l’interprétation audacieuse développée par Jean-François de Rico et de Dominique Jaar selon laquelle la signification d’un acte de procédure, autre qu’introductif d’instance, pourrait être effectuée par un mode de transmission technologique (par une lecture combinée des articles 22, 123 in fine, 140 et 140.1 C.p.c. et des articles 28 et 74 LCCJTI). Cette interprétation a été citée à plusieurs reprises par les tribunaux, mais toujours dans le cadre de jugements rendus sur des requêtes pour mode spécial de signification.

Au sein du NCPC, le principe est similaire. L’article 116 NCPC énonce en effet que la signification d’un acte de procédure doit se faire de main à main (c’est-à-dire en mains propres ou par mains interposées) :

« La signification ou la notification faite par l’huissier est réalisée par la remise du document à son destinataire en mains propres, ou si cela ne se peut, en laissant le document au domicile ou à la résidence du destinataire entre les mains d’une personne qui paraît apte à le recevoir. Si le document ne peut être ainsi remis, il doit être laissé dans un endroit approprié, sous pli cacheté ou sous une autre forme propre à en assurer la confidentialité. »

Plus concrètement, cela veut donc dire qu’un huissier ne peut pas, de but en blanc, signifier une demande introductive d’instance par voie technologique (courriel, Facebook, plateforme Notabene, Linkedin, etc.). Il doit d’abord avoir tenté de la remettre de main à main.

Cependant, l’article 129 NCPC permet à l’huissier de laisser un avis de visite par un moyen technologique. Cet avis informe le destinataire de la tentative de remise et indique la nature du document, le nom de la personne qui notifie et le lieu où le destinataire peut obtenir le document. Essentiellement, l’objectif est d’éviter de recourir inutilement à un autre mode de notification. À titre d’exemple, l’huissier de justice dans l’impossibilité de signifier une demande introductive d’instance pourrait transmettre à la personne visée un avis de visite par courriel, indiquant l’endroit où l’acte de procédure est disponible. À cet égard, notons que les articles 28 à 37 LCCJTI s’appliquent en la matière puisqu’il s’agit d’une transmission de document.

En somme, la signification d’une demande introductive d’instance doit toujours se faire de main à main. Cependant, l’huissier peut laisser un avis de visite par un moyen technologique.

  • L’exception : la signification technologique

Il existe toutefois deux situations où la signification d’une demande introductive d’instance peut se faire par un moyen technologique.

Premièrement, selon l’article 124 NCPC, dans le cas où la signification doit être effectuée au lieu de travail et que la personne visée travaille sur un « moyen de transport » (navire, avion, autocar, etc.), il est possible de signifier l’acte par un moyen technologique. Cette situation demeure toutefois des plus exceptionnelles. Il faut en effet avoir tenté de signifier l’acte : 1/ en main propre au domicile de la personne visée 2/ le cas échéant, par mains interposées au domicile de la personne visée 3/ finalement, si le lieu de travail de la personne visée est un moyen de transport, par un moyen technologique.

Deuxièmement, aux termes de l’article 112 NCPC, « si les circonstances l’exigent, le tribunal autorise, sur demande faite sans formalités, la notification d’un acte de procédure selon un autre mode ou à d’autres heures que ceux prévus au présent chapitre ». Cette disposition peut a fortiori permettre le mode de signification par un moyen technologique, sous réserve que l’huissier de justice le demande et que le tribunal l’autorise. La situation sous le régime du C.p.c. était très similaire, sinon identique. En effet, dans les cas où les modes usuels de signification ne permettaient pas de signifier un document, l’article 138 C.p.c. prévoyait la possibilité pour le tribunal d’autoriser un mode spécial de signification, dont notamment le recours aux moyens technologiques. Les tribunaux ont ainsi autorisé la signification de demande introductive d’instance par courriel, Facebook ou la plateforme Notabene. Cette liste n’est évidemment pas exhaustive et il est possible d’envisager bien d’autres moyens technologiques, tels que Linkedin ou même le SMS.

Ceci étant dit, il convient souligner que plusieurs présomptions (juris tantum) sont attachées à la signification technologique. Il s’agit nommément de la présomption de transmission de l’acte (art. 31 al. 1 LCCJTI), de réception de l’acte (art. 31 al. 2 LCCJTI), d’intelligibilité de l’acte (art. 31 al. 2 LCCJTI) et d’intégrité de la transmission (art. 134 NCPC).

  1. La notification électronique

Le NCPC contient désormais une section spécifique pour « la notification par un moyen technologique », se composant des articles 133 et 134 NCPC. Étudions successivement ces deux dispositions.

  • L’article 133 NCPC

L’article 133 NCPC traite des modalités de la notification par un moyen technologique et du consentement de la partie non représentée. Il se lit comme suit :

« La notification par un moyen technologique se fait par la transmission du document à l’adresse que le destinataire indique être l’emplacement où il accepte de le recevoir ou à celle qui est connue publiquement comme étant l’adresse où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés, dans la mesure où cette adresse est active au moment de l’envoi.

Cependant, la notification par un tel moyen n’est admise à l’égard de la partie non représentée que si celle-ci y consent ou que le tribunal l’ordonne. »

À nos yeux, cet article soulève trois difficultés principales.

1/ La notion d’adresse active. En premier lieu, l’expression « adresse » fait automatiquement penser à l’adresse de courrier électronique, c’est-à-dire l’« identifiant personnel d’un internaute grâce auquel il peut communiquer par courrier électronique avec d’autres internautes. » Il ne faudrait cependant pas la réduire à cette seule possibilité ; sinon le Législateur aurait expressément précisé « adresse de courrier électronique ». En effet, selon nous, la notion d’« adresse » devrait être interprétée largement et pourrait vraisemblablement couvrir les messageries instantanées de réseaux sociaux, les messageries SMS en matière téléphonique, les plateformes de correspondance sui generis, etc. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par la lettre de la LCCJTI, son application jurisprudentielle et certains auteurs. En deuxième lieu, le caractère « actif » de l’adresse sera assuré « lorsque les mécanismes nécessaires à la réception des documents et à leurs accès par le destinataire y sont disponibles. » En pratique, il est presque impossible pour l’expéditeur de savoir si l’adresse est effectivement active au moment de l’envoi, à moins de recevoir un avis de non-délivrance.

2/ L’obtention de l’adresse. Ceci étant dit, comment obtient-on l’adresse de la personne à qui on veut notifier un document ? L’article 133 NCPC fait état de deux cas de figure au degré de complexité différent, largement inspirés de l’article 31 al. 2 LCCJTI. Soit le destinataire a pris personnellement le soin d’indiquer son adresse ou il souhaite être notifié. Il s’agit de l’hypothèse la plus simple. Le fait de communiquer par courriel revient par exemple à accepter de recevoir un document à cette même adresse courriel. Soit la personne dispose d’une adresse « connue publiquement comme étant l’adresse où il accepte de recevoir les documents qui lui sont destinés »… les questions se bousculent. Comment savoir que le destinataire accepte de recevoir des documents judiciaires à une adresse spécifique ? À quoi réfère exactement « connue publiquement » ? Dans le contexte numérique, le bottin est malheureusement inexistant. Les tribunaux devront donc interpréter cette expression à la lumière de la LCCJTI et toujours au cas par cas.

3/ Le cas de la partie non représentée. Le dernier alinéa de l’article 133 NCPC est, quant à lui, moins complexe et cherche à protéger les parties non représentées. Ainsi, pour ces dernières, la notification par un moyen technologique n’est admise que si celles-ci y consentent ou que le tribunal l’ordonne.

  • L’article 134 NCPC

L’article 134 NCPC, quant à lui, a trait au bordereau d’envoi et son contenu en matière de notification par un moyen technologique. Il dispose :

« La preuve de la notification par un moyen technologique est faite au moyen d’un bordereau d’envoi ou, à défaut, d’une déclaration sous serment de l’expéditeur.

Le bordereau indique la nature du document transmis, le numéro du dossier du tribunal, le nom de l’expéditeur et du destinataire et leurs coordonnées, de même que le lieu, la date et l’heure et les minutes de la transmission ; il doit contenir également, à moins que la transmission ne soit effectuée par l’entremise d’un huissier, l’information nécessaire pour permettre au destinataire de vérifier l’intégrité de la transmission. Ce bordereau n’est produit au greffe que si une partie le demande. »

Le premier alinéa s’inspire du droit actuel (art. 146.0.1 et ss. C.p.c. et 31 al. 3 LCCJTI). En substance, il vise à assurer que la notification a bel et bien été envoyée à des fins de preuve judiciaire. La règle est le bordereau d’envoi, l’exception étant la déclaration sous serment.

Le deuxième alinéa vient définir la notion de « bordereau d’envoi » par son contenu. Il s’agit donc d’un document qui indique la nature du document transmis, le numéro du dossier du tribunal, le nom de l’expéditeur et du destinataire et leurs coordonnées, de même que le lieu, la date et l’heure et les minutes de la transmission. Rien que ne peuvent permettre les technologies de l’information. La dernière mention est plus complexe et réfère à la LCCJTI : il faut fournir « l’information nécessaire pour vérifier l’intégrité de la transmission » (non applicable aux huissiers). L’article 6 al. 2 LCCJTI indique que l’intégrité doit être maintenue au cours du cycle de vie du document, notamment lors de sa transmission. Plus particulièrement, l’article 30 al. 1 LCCJTI dispose « le mode de transmission choisi doit permettre de préserver l’intégrité des deux documents » et « la documentation établissant la capacité d’un mode de transmission d’en préserver l’intégrité doit être disponible pour production en preuve, le cas échéant. » À titre d’exemple, dans la mesure où une personne déposerait en preuve un acte de procédure antidaté, le notifiant pourrait demander que le bordereau soit produit au greffe pour vérifier l’intégrité de la transmission.

  1. Bilan

Le NCPC ouvre incontestablement la voie à la transmission technologique des actes de procédure, et ce, que ce soit en matière de signification ou de notification. Cependant, le changement ne s’arrête pas là. Le NCPC permet également le dépôt électronique des procédures : « Si l’environnement technologique du greffe permet de le recevoir sur un support technologique, l’acte doit respecter les formats normalisés établis par le ministre de la Justice pour assurer le bon fonctionnement du greffe. » (art. 99 al. 2 NCPC). Pour le moment, on ne connaît pas les modalités exactes du fonctionnement de ce greffe électronique ; cependant, des règles devraient bientôt paraître indiquant les formalités afférentes au dépôt technologique (format, fichier, actes, etc.). Au bout du compte, on voit bien que la transmission technologique des actes de procédure désigne une réalité variée (signification technologique, avis technologique, notification technologique et dépôt technologique), à laquelle le praticien devra nécessairement se familiariser. Plus avant, et en prenant un peu de hauteur, le NCPC vise assurément à « ouvrir le compas » entre le droit processuel (le principe, le symbole, la culture) et les technologies de l’information (l’application, le matériel, la technique). À nous de prendre au bond cette belle opportunité !

[L’auteur tient à remercier les professeurs Karim Benyekhlef et Nicolas Vermeys aussi bien pour les discussions stimulantes que les relectures bienveillantes. Il va de soi que ce qu’il avance dans ce cycle de billets de blogue n’engage que lui-même.]

Ce contenu a été mis à jour le 31 août 2015 à 15 h 58 min.