par Antoine Guilmain

 

En ce début 2015, vous avez certainement pris les meilleures résolutions de votre vie. Seulement, au risque de vous décevoir, 22 % d’entre vous arriveront à atteindre leurs objectifs. Les résolutions sont résolument comme les anguilles : on les prend aisément… le diable est de les tenir !

Mais rassurez-vous tout de suite. Le Législateur, lui-même, s’adonne également à cette tradition annuelle. En adoptant des lois au cours de l’année, il prend de bonnes résolutions qui devront être tenues l’année suivante par les tribunaux. Par exemple, dans le nouveau Code de procédure civile, on retrouve le vœu pieux de « privilégier l’utilisation de tout moyen technologique » (article 26)… Ce second volet du cycle de billets de blogue « Les facettes technologiques du NCPC » vise précisément à questionner la pertinence et le potentiel de cette belle résolution.

Le NCPC porte incontestablement une volonté d’informatiser le procès civil. Les notes explicatives indiquent d’ailleurs que ce nouveau texte « permet d’utiliser les technologies de l’information en matière de procédure civile. » Mais il y a plus. Cette intention de principe est réaffirmée avec davantage de consistance au sein de l’article 26 NCPC, qui se lit comme suit :

« Dans l’application du Code, il y a lieu de privilégier l’utilisation de tout moyen technologique approprié qui est disponible tant pour les parties que pour le tribunal en tenant compte, pour ce dernier, de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux.

Le tribunal peut utiliser un tel moyen ou ordonner qu’il le soit par les parties, même d’office, notamment dans la gestion des instances ; il peut aussi, s’il le considère nécessaire, exiger, malgré l’accord des parties, qu’une personne se présente physiquement à une audience, à une conférence ou à un interrogatoire. »

L’article 26 NCPC est de droit nouveau et constitue une « règle d’application » du NCPC. En substance, l’idée est de favoriser le recours judiciaire aux « moyens technologiques ». Cette dernière notion peut être appréhendée de deux manières. De manière positive, elle désigne toute technologie électronique, magnétique, optique, sans fil ou autres ou faisant appel à une combinaison de technologies. Dans le contexte de l’évolution rapide des technologies de l’information, cette assertion large permet d’assurer une certaine pérennité au NCPC. De manière négative, elle exclut de fait le papier ; qui est pourtant une « technologie physique ».

Lors des débats parlementaires, le ministre de la Justice Saint-Arnaud s’exprimait ainsi concernant cette disposition : « [c]et article marque l’intégration des technologies de l’information à la procédure civile. L’utilisation de ces technologies peut permettre d’accroître l’accessibilité des citoyens à la justice, d’augmenter la qualité des services offerts, de diminuer les délais ainsi que les coûts afférents. »

Malheureusement, comme toutes bonnes résolutions, l’article 26 NCPC présente son « Côté Obscur ». Plus concrètement, l’utilisation des technologies est conditionnée par trois éléments aussi ambigus que complexes : 1/ le caractère « approprié » du moyen technologique 2/ la disponibilité du moyen technologique tant pour les parties que pour le tribunal 3/ la prise en compte de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux.

Premièrement, le caractère « approprié » du moyen technologique. Il y a certes lieu de privilégier l’utilisation de tout moyen technologique, mais sous réserve qu’il soit « approprié ». L’article 419 NCPC, relatif aux séances d’information sur la parentalité et la médiation, utilise cette même expression. Cependant, cette condition ouvre nolens volens la boîte de Pandore : Comment détermine-t-on le caractère « approprié » d’un moyen technologique ? Qui est censé se prononcer sur la question ? Quel est l’intérêt même d’une telle précision ? Cette exigence recoupe-t-elle le principe de proportionnalité procédurale ? Selon nous, cette dernière question nous paraît être l’avenue la plus intéressante, voire même viable. L’évaluation du caractère « approprié » pourrait en effet recouper les critères stables et précis de l’article 18 NCPC (à savoir, les coûts et le temps exigés, la finalité de la demande, la nature et la complexité de l’affaire). On comprend aisément les avantages d’une telle interprétation : d’un côté, la sécurité juridique est renforcée pour les justiciables, de l’autre, la cohérence juridique est favorisée pour les juges. Il n’y a plus qu’à attendre que les tribunaux se prononcent sur la question.

Deuxièmement, la disponibilité du moyen technologique tant pour les parties que pour le tribunal. Comme relevé lors des débats parlementaires, cette condition encadre la « liberté technologique », en sens large du terme, et doit être mise en perspective avec la LCCJTI. D’un côté, l’article 29(1) LCCJTI indique que l’on ne peut forcer une personne à « se procurer » un support ou une technologie spécifique pour recevoir ou transmettre un document. À titre d’exemple, un justiciable ne pourrait être obligé de transmettre un document sous une forme numérique, à moins qu’il y consente ou que la loi l’y oblige. De l’autre, l’article 29(2) LCCJTI vient enfoncer le clou en précisant que nul n’est tenu d’accepter de recevoir un document sur un autre support que le papier ou au moyen d’une technologie « dont il ne dispose pas ». Les expressions « se procurer » et « dont il ne dispose pas », utilisées par la LCCJTI, ont fait couler beaucoup d’encre et ne sont toujours pas interprétées uniformément par la jurisprudence. Comme l’explique le professeur Trudel, « les évaluations peuvent se révéler difficiles lorsque vient le temps de déterminer si une personne possède ou non une technologie. » À nos yeux, la condition de « disponibilité du moyen technologique » introduite par le NCPC vient rajouter un degré de difficulté au casse-tête. Faut-il interpréter la disponibilité in concreto, in abstracto ou les deux à la fois ? Sur quels standards se baser pour évaluer la disponibilité d’une technologie ? Y a-t-il une nuance à faire entre 1/ la disponibilité d’un moyen technologique pour le tribunal et 2/ la prise en compte de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux ? Autant de questions sur lesquelles les tribunaux auront à se pencher ; à tout le moins, les développements doctrinaux et jurisprudentiels autour de l’article 29 LCCJTI offrent déjà de bons points d’ancrage.

Troisièmement, la prise en compte de l’environnement technologique qui soutient l’activité des tribunaux. Les articles 26, 66 et 99 du NCPC y réfèrent et cette expression n’est pas entièrement nouvelle. Malgré une certaine ambiguïté et restrictivité, cette condition se justifie plus facilement. En effet, l’infrastructure technique et organisationnelle des tribunaux ne permet pas de déployer tous types de procédés technologiques, quand bien même les parties se seraient mises d’accord. À titre d’exemple (volontairement exagéré), la comparution d’un témoin par voie holographique est pour le moment impensable. Notons que les tribunaux commencent progressivement à s’équiper de technologies, notamment dans les salles d’audience : accès généralisé à l’équipement nécessaire pour tenir une visioconférence, importants travaux de modernisation pour la Cour suprême, le palais de justice de Montréal dispose de six salles d’audience multimédias reliées à une régie, etc. Par ailleurs, en août dernier, le palais de justice de Montréal, parmi d’autres, a fait un « bond technologique » en introduisant le WiFi en certains endroits de l’édifice. Aussi anodine puisse-t-elle paraître, cette initiative était depuis longtemps attendue et devrait se généraliser. Cependant, comme le soutient l’AJBM, nous pensons également que : « [d]es mesures additionnelles devront impérativement être déployées afin de développer l’utilisation des moyens technologiques dans les palais de justice de la province. Et ce, dans un avenir rapproché. Sinon, l’objectif de la réforme qui consiste à favoriser les moyens technologiques ne pourra être rempli. »

Finalement, l’article 26 in fine NCPC vient confirmer l’autorité renforcée du tribunal lors du déroulement de l’instance. Ainsi, malgré l’accord des parties, le tribunal peut soit ordonner (dans la gestion de l’instance) soit interdire (lors de l’audience, d’une conférence ou d’un interrogatoire) l’utilisation des technologies de l’information. En substance, cette disposition assure une mainmise du tribunal sur l’équilibre entre, d’une part, l’utilisation des technologies de l’information, et d’autre part, le respect des exigences processuelles de base.

BILAN. L’article 26 NCPC est une règle d’application aux contours imprécis avec de nombreux éléments restant encore à déterminer. À cet égard, notons que, déjà lors des débats parlementaires, le ministre de la Justice Saint-Arnaud assurait qu’il y aurait de la formation pour les avocats et pour les membres de la magistrature spécifiquement autour de cette disposition. À l’état brut, l’article 26 NCPC s’apparente donc à une belle résolution de début d’année. Une sorte de « disposition-soufflé-au-fromage » : c’est bien beau dans le four, bien doré, bien bombé, mais dès qu’on le sort, ça se dégonfle, c’est creux. Il appartient maintenant à la doctrine et aux tribunaux de lui donner une réelle consistance. Sur ces mots, le Laboratoire de cyberjustice vous présente ses meilleurs vœux technologiques !